Alors que, de ce côté-ci de l’Atlantique, les 150 citoyens de la Convention pour le climat ont remis leurs propositions,
Corine Lesnes, correspondante du « Monde » à San Francisco, raconte dans sa chronique comment l’Académie des arts et des sciences, créée par les Pères fondateurs, essaie de s’attaquer aux plaies de la démocratie américaine.
Entre pandémie et manifestations antiracistes, le rapport de l’Académie américaine des arts et des sciences sur la revitalisation de la démocratie est passé largement inaperçu. Ce n’est pourtant pas tous les jours que les Américains réfléchissent à une réforme de leurs institutions. S’il est une chose dont ils sont – et restent – fiers, c’est bien de leur modèle de checks and balances, la démocratie bourgeoise et vertueuse qu’ils considèrent avoir donnée en exemple à l’humanité. Le monde ancien peut bien s’écrouler, l’internet rendre obsolète la notion de frontières, et les réseaux sociaux compliquer celle de « free speech » (liberté d’expression), la charte de 1787, conçue par un été torride à Philadelphie, plus d’un siècle et demi avant l’air conditionné, ne saurait être amendée. La Constitution est un texte sacré.
Les membres de l’American Academy of Arts and Sciences sont en quelque sorte les gardiens du temple : l’institution a été fondée en 1780, en pleine guerre d’indépendance, par John Adams, le futur successeur de George Washington à la Maison Blanche, et John Hancock, l’ambitieux révolutionnaire qui laissa une signature énorme sur la proclamation du 4 juillet 1776 afin que le roi George III n’ait même pas besoin de mettre ses lunettes pour comprendre le message, dit la légende..
Les académiciens n’en ont pas moins bravé le tabou sur la modernisation des institutions. Après deux ans de recherches et une cinquantaine de sessions d’échange avec leurs concitoyens, leur Commission sur la pratique de la démocratie citoyenne a rendu ses conclusions le 11 juin. Les « sages » – universitaires, travailleurs sociaux, data scientists, représentants du monde de l’entreprise, des médias, des organisations de jeunesse ; démocrates comme républicains – prennent acte d’un modèle en bout de course : inégalités croissantes, polarisation politique, montée du nationalisme blanc, manque de confiance dans les institutions, alors que prospère en ligne « une culture de cynisme et de jubilation nihiliste ». S’y ajoutent cette année la pandémie, qui a déjà fait plus de 120 000 morts et la mise en lumière des injustices raciales, phénomènes qui ne font que « renforcer le besoin urgent de réinvention », a souligné le philanthrope et coprésident de la Commission Stephen Heintz.
31 recommandations
La Commission propose 31 recommandations. Augmenter le nombre d’élus à la Chambre des représentants : ils sont 435 depuis 1929 alors que la population a augmenté de 60 %. Une telle mesure rendrait le collège des grands électeurs plus représentatif, fait-elle valoir, et elle limiterait les chances de voir se reproduire le scénario de 2000 et 2016 quand ni Al Gore ni Hillary Clinton n’ont été élus alors qu’ils avaient remporté la majorité des votes au niveau national. Actuellement, souligne le rapport, la voix d’un résident du Wyoming pèse 3,7 fois plus au collège électoral que celle d’un Californien. En 1792, le vote d’un habitant du Delaware pesait 1,7 fois plus que celui d’un compatriote de Virginie, qui était l’Etat le plus peuplé.